Different Trains [Steve Reich]
Je ne compte plus le nombre de voyage à bord de ce train, seconde classe. Le nombre de fois que je me suis retrouvé à quai, perdu entre les soleils d’une retrouvaille et la tristesse d’une séparation. Prendre le train à ce pouvoir antonymique, de rassembler des sentiments et de troubler l’existence des âmes. Symbole d’amour ou de passion, comme dans un roman du passionné Zweig, image d’horreur d’un convoi de déportés, terminus Auschwitz. Train pour bétail.
Aux commandes de la locomotive, Steve Reich, compositeur new-yorkais, se classe dans la musique contemporaine dite minimaliste. En contrôleur, Pat Metheny et le Kronos Quartet. Cette œuvre aussi magistrale que fascinante, aussi troublante qu’énervante fut d’abord une commande pour le Kronos Quartet, quatuor à cordes, à l’origine, deux violons, deux violoncelles. La musique en est presque répétitive, et c’est en cela qu’elle me fascine. Elle est énervante dans les aigus, à la limite de la magnificence d’un larsen contrôlé. Ticket s’il vous plait, me demande la contrôleuse dans son uniforme bleu soulignant ses formes et son sourire ! Elle me sort de ma torpeur, mais je ne peux résister à me plonger dans son regard, ou plus bas. Mais comment lui en vouloir? Elle ne savait certainement pas que cette répétition m’hypnotise à chaque écoute, plus que le bouton de sa chemise prêt à sauter. J’en raterai presque l’arrivée en gare. Gare du soleil, des embruns chauds du sud. Heureusement, moi, j’ai le pouvoir de choisir ma destination et de descendre avant son fatal terminus, Auschwitz, tout le monde descend. Même le bétail.
Trois mouvements, avec sirènes et crissements, les cordes se répètent et s’enchainent, les enregistrements vocaux apparaissent comme les témoins de cette époque. America, Before the war. Ils se répètent comme un troupeau de bétail que l’on envoie à l’abattoir, lentement, en rang serré, pas une tête qui dépasse de l’autre. Europe, During the war. L’horreur à faire tourner le cœur, à moins que ce train brinquebalant me mette si mal à l’aise. After the war. Pourtant, je ne perds pas une note, tant elle semble me faire échos.
Après cette pièce éprouvante, le silence se fait dans ma tête. Le vide épuisé. Lessivé même, et sans assouplissant. Mais je poursuis encore mon voyage, le « pass interfrontière de l’esprit » qui me permet de continuer encore mon chemin à bord de ce vieux modèle pullman. Le Kronos est descendu, remplacé par Pat Metheny, un autre mouvement de grande ampleur, electric counterpoint. Toujours aussi répétitif, la répétition est l’art de Steve Reich, mais un peu moins fringant que le Kronos Quartet, un peu plus acceptable pour les oreilles les plus chastes. Ma préférence allant nettement au train, comme tous les petits garçons, qui ont rêvé de jouer au train miniature. Auschwitz, cinq minutes d’arrêt, une photo pour l’éternité, et la locomotive repart…
Different Trains
Electric Counterpoint
« Different Trains » [1988], Tchou Tchou firent les violons.
Sans hésiter ma préférence va vers Electric counterpoint et je dirai même que j’ai beaucoup apprécié les cordes et le rythme, contrairement au premier.
Surement parce que j’y ai reconnu les accords de Metheny. C’est doux, c’est mélodieux et apaisant.
« Prendre le train à ce pouvoir antonymique, de rassembler des sentiments et de troubler l’existence des âmes ».
Wahou trop beau
J’adore…
Ce billet m’a donné envie de vérifier quelque chose ^^
Ça te donne envie de prendre le train ?
Moi, mais je l’ai déjà dit, même si j’aime Pat Metheny, j’ai une immense et profonde admiration pour les trains du Kronos Quartet. A écouter dans le casque, cela te transporte…
Et c’est vrai que dans un casque cela donne une plus grande dimension à la musique … Je comprends ton ressenti …
De prendre le train oui ! Mais pas pour ce terminus macabre dont tu parles
C’est le genre de musique qui à la première écoute peut te surprendre et t’indifférer même mais si tu tentes une seconde écoute, tu sens un truc, à la troisième tu perçois une âme, à la sixième tu es hypnotisée, à la huitième tu as envie de boire une bière avec, à la quinzième tu as envie de faire l’amour avec… Pour le moment, j’en suis à la quatorzième écoute…
Vivement la quinzième
mdr ….
Ben quoi ??!!!!!!!
Tu me préviendras quand tu seras à la quatorzième ! ou pas…
cela ne m’étonne même pas !
Le même effet se fait avec Pink Floyd !
Avec Pink Floyd, j’éjacule à la treizième écoute
Connais pas et pas attirée par la musique, elle ne me parle pas :/
Faut prendre plus souvent le train
Different Trains est tellement chargée d’émotions, on défile sur les rails du dernier terminus pour l’horreur avec le cœur lourd. Après ce 16 minutes j’avais un sentiment de malaise, c’est dur, ça fait mal et la musique est juste à point pour accentuer le tragique.
Les images de Electric Counterpoint sont tellement magnifiques qu’on trouverait déjà la musique plus poétique, plus joyeuse. Et ce grand silence à la fin, en images, chargé de douceur.
Tout ça est tabarnaquement puissant.
La perception est différente d’un auditeur à l’autre. Surtout en musique. Si je fais abstraction du choix de ces images tendance fleur bleue, je n’y vois pas cette poésie, ces notes joyeuses. J’y vois toujours ce sentiment sombre d’écouter une musique répétitive dans l’intimité d’un être solitaire. Je m’y vois, je m’y sens. Cette musique me ressemble, autant que le premier morceau.
C’est puissant, c’est tabarnaquement moi
Si y a 5 étoiles
Si Bibison aime cela et se retrouve
Alors ca vaut l’écoute
Même sous le casque, à bon entendeur …
Hou la la, tu vas bien vite en besogne, je ne suis pas grand chose, et mon avis ne vaut pas grand chose non plus…